Ce mercredi 2 novembre 2016 est célébré la troisième journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes. Une date choisie en la mémoire de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journalistes de RFI assassinés à Kidal (Mali) en 2013. Une journée en l’honneur de tous les travailleurs de l’information qui risquent leur vie pour faire leur métier, malgré la censure et la guerre. Une occasion de s’interroger : comment les journalistes se préparent-ils pour couvrir un conflit, pour traiter l’actualité dans une zone tendue tout en minimisant les risques ?
La mobilisation pour retrouver et juger les responsables de l’assassinat des journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, pose la question de la pratique du journalisme en terrain difficile. « Depuis les années 1980, on a assisté à deux phénomènes », avance Aimé-Jules Bizimana, professeur à l’Université du Québec en Outaouais et spécialiste du journalisme de guerre. « D’une part, la radicalisation de certains belligérants, qui ne veulent plus que l’on parle de leurs exactions. Les journalistes sont donc des témoins gênants. D’autre part, par le biais des paiements des rançons, l’enlèvement des journalistes est devenu une source de revenus, d’où le développement d’une véritable industrie du kidnapping. De fait, les journalistes sont devenus des cibles. »
Risques variables
Comme le remarque le Comité de protection des journalistes, les pays où les journalistes sont plus menacés – et où les crimes les visant restent impunis – sont ceux en proie à la guerre, aux conflits, ou qui sont gouvernés par des régimes autoritaires. Mais sur un même terrain, tous les journalistes ne sont pas également exposés.
« Les conflits donnent lieu à des scènes dramatiques, très visuelles. Les photographes et les caméramans ont tendance à se rapprocher de l’action, et sont souvent ceux qui prennent le plus de risque sur le front », explique Ernest Sagaga, chef du département des droits de l’homme et de la protection des journalistes auprès de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), également en lutte contre l’impunité des crimes visant les journalistes. Qui plus est, le matériel des journalistes de l’image, plus visible, permet aux belligérants de les identifier comme des cibles potentielles.
Indépendamment du média, la prise de risque peut être liée à des impératifs économiques. « On voit parfois des indépendants mettre leur vie en jeu pour aller là où les rédactions n’envoient personne parce que c’est trop dangereux, regrette Michel Moutot, grand reporter à l’Agence France-Presse (AFP). Ça leur permet de se distinguer en ramenant des contenus exclusifs, ils pensent que c’est le meilleur moyen d’être payé. »
Mais du côté des rédactions, on assure ne pas prendre de piges venues de zones trop risquées pour les journalistes. A la rédaction en chef de l’AFP, « si on n’envoie pas de journalistes sur les terrains trop chauds, ce n’est pas pour que des pigistes fassent le sale boulot. Si ce ne sont pas des locaux qui vivent sur les lieux, on prévient les pigistes : « on ne vous achètera rien si vous allez là-bas ». La sécurité de nos collaborateurs est une priorité, les grands médias sont tous sur la même longueur d’onde. »
Le prix de la sécurité
« Le problème, c’est que les journalistes pigistes partent avec des petits budgets. Une fois qu’on a acheté le matériel, réservé l’hôtel et les transports, il ne reste pas grand-chose », déplore la photographe indépendante Capucine Granier-Deferre. Dans le conflit ukrainien qu’elle a couvert, elle affirme avoir croisé plus d’un pigiste « qui avait fait une croix sur son assurance, une erreur à ne surtout pas commettre. »
Quand il n’y a pas de rédactions pour payer, certaines associations prennent le relais. C’est le cas de Reporters sans Frontières (RSF) : son secrétaire général Christophe Deloire explique que l’organisme négocie, notamment pour les journalistes indépendants, des « tarifs préférentiels en matière d’assurance ». Entre autres choses, RSF met aussi les journalistes en lien avec des organismes de formation qui les préparent aux reportages en zone de conflits.
Il existe deux grands types de formation. Celles dispensées par l’armée, assez généralistes ; et celles dispensées par des organismes privés, construites sur les besoins des rédactions qui y envoient leurs journalistes. « Disons que les formations de l’armée sont très bien pour un premier contact avec les zones de conflit, on apprend les bases », affirme le spécialiste du journalisme de guerre Aimé-Jules Bizimana. « Les formations des privés, souvent dispensées par d’anciens militaires, sont plus adaptables, selon le conflit, selon le média. »
Pendant ces formations, on met les journalistes en situation de guerre : reconnaître les armes, se mettre à couvert, se servir d’une trousse de soins, évaluer les risques, etc. « On leur donne une boîte à outils, pour qu’ils puissent réagir en fonction des situations rencontrées », affirme un responsable de ces formations. Coût réel pour une semaine ? « Plusieurs milliers d’euros », selon les sources. Une somme conséquente, qui peut être payée par les rédactions ou par des associations, comme la Fédération internationale des journalistes.
Ernest Sagaga, en charge de la protection des journalistes à la FIJ, détaille : « Les rédactions occidentales dépêchent de moins en moins de reporters de guerre. Nous envoyons donc en formation de plus en plus de journalistes locaux, notamment venus des pays du Proche et du Moyen-Orient. Ils sont les plus exposés parce que c’est là-bas que se déroulent les conflits les plus médiatisés.»
« Sur le terrain c’est toujours différent »
Les formations ne permettent pas d’éviter tous les dangers, mais seulement de réduire les risques. « La meilleure école, ça reste le terrain », affirme Stéphane Taponier, journaliste reporter d’image (JRI) chez France 3. Comme beaucoup de ses confrères, il pense que même si ces formations visent à recréer les conditions de la réalité, elles en sont loin. « Sur le terrain c’est toujours différent, la pression est bien plus grande, parce que notre vie est véritablement en jeu.»
Il n’empêche, tous les journalistes reconnaissent que les formations pour se préparer à couvrir les conflits ont leur intérêt. Pour la photographe indépendante Capucine Granier-Deferre, elles devraient même être « obligatoires » – c’est le cas dans beaucoup de rédactions, mais pas pour les journalistes indépendants. « Quand je me suis retrouvée en Ukraine je me suis fait la réflexion : si quelqu’un est blessé à côté de moi, je ne peux même pas l’aider, c’est insensé », témoigne la jeune photoreporter. Elle a depuis suivi une formation aux gestes de premier secours en cas de blessure de guerre et prévoit de se rendre en Irak.
Pour diminuer le risque, il est toujours possible d’être « embeded », c’est-à-dire de suivre une unité militaire. « Çapermet d’aller dans des endroits auxquels l’on n’aurait pas accès si on était seul », précise Michel Moutot, grand reporter à l’AFP. « Forcément, ça réduit la marge de manœuvre, l’armée n’est pas là pour nous surveiller, mais on est là pour l’accompagner. » « Les journalistes qui embarquent avec nous sont soumis aux mêmes règles de sécurité que les soldats », affirme une source sous couvert d’anonymat au sein de l’armée française. Par exemple, « le casque est obligatoire dans les blindés. S’ils n’en ont pas, on peut leur en prêter, mais si on n’en a pas non plus, on ne les prend pas ».
Certaines rédactions demandent à leurs journalistes de suivre les unités militaires, mais d’autres demandent à d’anciens militaires d’escorter leurs salariés sur le terrain. Sceptique, un journaliste s’interroge : « Je me demande comment on peut mener son reportage quand on est escorté par des types en armes… » Le procédé est rare, coûteux, et n’est pas une garantie de sécurité : la journaliste américaine Lara Logan, agressée et violée place Tahrir, au Caire, en février 2011, était accompagnée d’un garde du corps.
Rfi