Le journaliste Ibrahima Sory Bangoura a joint au téléphone un ressortissant guinéen vivant à Montréal (Canada), qui a bien voulu lui accorder une interview au cours de laquelle il a parlé de la situation socioéconomique et de l’immigration clandestine. Lisez
Bonjour M. Diallo, veuillez-vous présenter à nos fidèles lecteurs ?
Bonjour, j’aimerais, avant tout, vous remercier de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur votre page. Cela dit, je suis Aboubacar Biro Diallo, étudiant de 23 ans inscrit en troisième année au baccalauréat en Gestion publique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Je suis un citoyen guinéen installé au Canada depuis dix ans.
En tant que ressortissant guinéen vivant à Montréal (Canada), comment se porte la communauté guinéenne ?
À vrai dire, la communauté guinéenne se porte bien. Nous avons la chance de nous rencontrer dans certains événements où on partage de bons moments. De plus, en tant que membre du bureau exécutif de l’Association des Jeunes Guinéens de Montréal (AJGM), il m’incombe de vous dire que nous travaillons fort pour promouvoir la culture guinéenne, aider les guinéens nouvellement installés à Montréal à s’insérer sur les plans professionnels, académiques etc.
Lors de votre séjour en Guinée, quel est votre constat sur la situation du pays, après dix ans d’absence ?
Après toutes ces années d’absence, permettez-moi de vous dire que mon séjour en Guinée, durant le mois d’août, a été agréable. Pour la première fois, dans ma vie, je me sentais réellement chez moi. Toutefois, en l’espace d’une décennie, j’ai été témoin d’un certain changement en Guinée. D’une part, l’électricité et l’eau étaient présentes, pendant mon séjour. En outre, j’ai vu également que quelques édifices ont été construits, notamment Plaza Diamond, Prima Center etc. Hormis cela, je n’ai pas vu un grand changement, les routes sont telles que je les ai laissées, il y a dix ans, c’est-à-dire délabrées; des quartiers aux chaussées caillouteuses. L’embouteillage est toujours présent dans la capitale. À certaines heures de la semaine, il faudrait compter un peu plus d’une heure pour se rendre de la banlieue au Centre ville et vice versa. Tout en mesurant mes propos, sur les routes de Conakry, c’est l’anarchie totale ! L’insalubrité est omniprésente. J’ai aussi l’impression que la pauvreté ne fait que s’amplifier dans le pays. La preuve en est qu’à plusieurs carrefours, on voyait des mendiants, certains sur des fauteuils roulants et d’autres auprès des voitures. C’est triste ! Autre chose qui m’a marqué, c’est lorsque j’étais dans le quartier de Nongo pour rendre visite à une tante, il y a eu une sexagénaire ou septuagénaire qui s’était présentée à moi pour me demander de l’aide. Celle-ci m’a fait une rétrospective de ses problèmes tout en m’évoquant qu’elle n’avait pas d’argent pour nourrir ses cinq enfants. Comment peut-on rester indifférent, dans ces circonstances ? Mes amis diplômés sont, pour la plupart, au chômage; le coût de la vie est extrêmement élevé. Tout cela m’amène à en déduire que le peuple est oublié par ceux qui gouvernent le pays.
Aujourd’hui, quel est votre regard sur la vie politique et socio-économique de la Guinée ?
Au premier abord, on devrait chercher à organiser la vie politique en Guinée afin qu’on sente vraiment l’existence d’une démocratie. Il faudrait que tout parti membre de l’opposition guinéenne soit écouté par le parti au pouvoir, parce qu’ils sont aussi des élus du peuple. La politique en Guinée a toujours été une affaire de « vieux ». Malheureusement, les jeunes ne veulent rien entendre des politiciens, parce qu’ils n’y croient plus et disent que c’est toujours les mêmes au pouvoir. Je doute de la réelle volonté de nos politiciens à vouloir changer le pays. Certains viennent au pouvoir avec une bonne intention, mais finissent par se faire stipendier. On doit faire de telle sorte que la politique guinéenne soit une machine soucieuse du bien-être du peuple. Concernant le volet socio-économique, il y a beaucoup de travail à faire. Le taux de chômage ne fait qu’augmenter d’année en année, les jeunes sont pessimistes quant à leur avenir. Comme je l’ai mentionné dans la deuxième question, ils sont diplômés, mais ne trouvent pas d’emploi, ce qui décourage plusieurs d’entre eux à abandonner les études. Qui dit chômage, dit pauvreté. Certains parents n’ont pas les moyens de payer les fournitures scolaires de leurs enfants, des jeunes filles se voient dans la contrainte de se prostituer pour subvenir aux besoins de leurs familles, d’autres vivent dans des taudis etc. Je déplore cela ! Il n’y a pas assez de services publics pour un peu plus d’une dizaine de millions d’habitants. L’État doit vraiment mettre l’emphase sur l’éducation des guinéens et guinéennes, car c’est le seul moyen pour développer le pays.
Bon nombre d’africains veulent passer clandestinement en Europe à travers la mer. Avez-vous un conseil à l’endroit de ceux qui le font et plus particulièrement les guinéens ?
La situation est très alarmante, j’ai eu à débattre d’ailleurs avec un ami, lors de mon séjour à Conakry, sur cette question. J’ai vu à quel point plusieurs jeunes sont déterminés à rejoindre l’occident. Ils estiment qu’il n’y a rien à faire en Guinée et que le seul moyen pour sortir des difficultés dans lesquelles ils sont, présentement, est de partir se chercher en Europe ou en Amérique et ce, même s’il faudrait mourir. Oui, il est vrai que les conditions de vie en Guinée sont difficiles, mais cela ne justifie pas la traversée en mer pour rejoindre clandestinement l’Europe. J’exhorte mes compatriotes guinéens à ne pas faire cela, qu’ils prennent le temps de penser au naufrage des centaines de migrants clandestins près de Lampedusa. Ce qui me fait mal, c’est que j’ai beau leur dire que la belle vie en occident est une illusion, ils ne me croiront pas et percevront mal cela, parce qu’ils ne sont pas encore allés pour voir ce qui s’y passe réellement. Beaucoup d’entre eux m’ont répondu que si la vie en occident est « dure », de rester en Guinée définitivement. Je comprends leurs frustrations et je me mets toujours dans la peau de ces personnes qui veulent un avenir meilleur pour eux et leurs familles. Par conséquent, il n’est pas du tout facile de leur prodiguer des conseils, mais ce que je pourrais dire, c’est qu’il ne faudrait pas perdre espoir, ne pas nécessairement compter sur l’État pour une aide, être opiniâtre, aller à l’école. On peut réussir malgré le fait qu’on vive dans un pays pauvre, il suffit juste d’y croire et de se battre incessamment.*
Un mot sur l’élection américaine
Les élections américaines ont été exceptionnelles cette année. Il y a eu deux candidats aux convictions divergentes qui ont réussi à attirer l’attention du monde entier. Donald Trump, considéré comme étant un homme aux idées loufoques a fini par l’emporter sur Hillary Clinton. Il serait difficile de se prononcer, à présent, sur les éventuelles actions de Trump, lorsqu’il sera en fonction. On sait bien que plusieurs politiciens font des promesses pour obtenir des votes, mais une fois élus, ils les oublient. Il reste à voir si le président élu de la puissance mondiale tiendra à réaliser ses promesses électorales. Si c’est le cas, ce serait dommage pour les mexicains et musulmans vivants aux États-Unis vu qu’il compte les bannir du pays. D’autre part, Il pourrait, par la mise en pratique d’une politique protectionniste, compromettre le libre-échange et mettre la coopération internationale dans une situation précaire.
Avez-vous un conseil particulier à l’endroit de la classe politique guinéenne
Qu’elle agisse avec intégrité, milite pour une véritable démocratie et pourfende ceux et celles qui la menaceront; qu’elle travaille dans l’intérêt de l’ensemble des guinéens tout en cherchant à assurer son bien-être.
Réalisée par Ibrahima Sory Bangoura