Jusqu’ où les « émeutes du pain » vont-elles emporter le Soudan ? Lorsque les premiers manifestants sont descendus dans les rues, la contestation n’avait rien d’organisé. Des rassemblements similaires se multipliaient dans un nombre croissant de villes du pays, sans programme, coordination ou leaders clairement identifiés, et dont le but était de protester contre le renchérissement des produits de première nécessité, comme le pain et le sucre. Le 18 décembre, le prix des petits pains ronds et souples qui composent l’ordinaire de toutes les familles soudanaises avait été multiplié par trois. En janvier, ce prix avait déjà doublé.
Le 19, les premières manifestations commençaient à Atbara, à 250 km au nord de Khartoum, la capitale. Atbara, ville assoupie au bord du Nil, est aussi le berceau du syndicalisme et du communisme (le premier syndicat soudanais y avait été créé en 1946), siège des chemins de fer à la gloire évanouie. Aujourd’hui, elle souffre comme tout le Soudan.
En quelques jours, il y avait plus de dix foyers de contestation à travers le pays. Et de plus en plus de slogans hostiles au pouvoir soudanais, ceux du « printemps arabe ». Des hommes, des femmes, des enfants ont pris part à des manifestations à Dongola, tout au nord ; à Gedaref, dans l’est ; ou encore à El-Obeid, au Kordofan du Nord. Des bâtiments du parti au pouvoir, le Parti du congrès national (NCP), ont été incendiés.
L’augmentation du prix du pain n’est qu’une ultime décision, dans la continuité de celles qui affectent le Soudan ces dernières années. En 2013, la libéralisation des prix et du taux de change avait conduit à une première bouffée inflationniste, et à des manifestations durement réprimées. En janvier, cette année, un nouveau train de mesures d’austérité avait aussi entraîné des émeutes. En novembre, une délégation du Fonds monétaire international (FMI) était à Khartoum, pour discuter de certaines dispositions destinées à favoriser la reprise de l’aide financière. Parmi elles figurait la fin des subventions à des produits de première nécessité. La farine en fait partie.
Ce ne sont plus les syndicats – noyautés par le pouvoir afin d’obéir aux injonctions du NCP du président Omar Al-Bachir – qui jettent à présent les foules dans les rues. A leur place, une organisation parallèle et assez discrète, l’Association professionnelle du Soudan (APS), a pris le relais dans l’organisation des manifestations. La contestation est portée par la difficulté de survivre alors que la valeur de la livre soudanaise a été divisée par deux et que certains prix ont été multipliés par trois, cinq, ou plus. L’inflation, au total, a atteint 70 % en fin d’année. Les observateurs commencent à parler d’« effondrement » de l’économie.