Dans son adresse à la nation de ce jeudi, 19 décembre 2019, le chef de l’État a clairement exprimé sa volonté de doter la Guinée d’une nouvelle constitution. Le fameux document de 18 titres et 161 articles est enfin sorti de sa clandestinité.
Une sortie qui ne laisse indifférente certains analystes et observateurs politiques. C’est le cas de Mohamed Lamine Sylla, journaliste et analyse politique après l’avoir parcouru in extenso, tout observateur averti a dressé quelques constats qui, dans cet avant-projet, crèvent le regard. Mais avant, il a fait un petit focus sur un petit détail non moins pertinent. Il s’agit du contexte dans lequel le chef de l’Etat a fait cette annonce.
En effet, le Président de la République a présidé lui-même ce jeudi, 19 décembre 2019 la cérémonie de lancement de la convention nationale de Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG), ce qui d’ailleurs est une violation des dispositions de l’article 38 de la constitution du 7 mai 2010 (nous y reviendrons dans les prochaines lignes). Mais nous nous intéressons juste à l’atmosphère qui a caractérisé cette convention et qui (nous le pensons) aurait un lien direct avec l’annonce, le même jour, de l’avant-projet de nouvelle constitution. Il est de notoriété publique que les choix opérés par le RPG dans la désignation des candidats est loin de faire l’unanimité. Rien qu’au siège national du parti, le mécontentement pouvait se lire dans le visage d’une frange importante de cadres et militants du parti. La plus part des choix auraient été fait sur fond de corruption et de trafic d’influence, à en croire certains observateurs. Sur place et en présence même du chef de l’Etat, l’éclatement de soubresauts jusque dans les démembrements du parti se tramaient déjà. D’ailleurs Kankan et N’zérékoré avaient donné le ton dans la journée même du jeudi en rejetant avec vigueur le choix du parti porté sur certaines personnes. Selon certaines indiscrétions, le cas de ces deux villes allait dès le lendemain faire boule-de-neige dans tous les fiefs du parti au pouvoir.
Face à de telle situation, l’annonce d’évènement majeur pour désorienter les attentions et diluer cette actualité brulante demeurait l’unique moyen. Ça, c’est du classique en politique… Et en bon stratège, Koro n’a pas manqué l’occasion. De toutes les façons, son projet de nouvelle constitution était déjà prêt et tous ses thuriféraires attendaient une seule chose : la déclaration de l’auteur principal. Donc le grand évènement, la grande actualité attractive ne pouvait être que ça.
Venons-en donc au contenu de cet avant-projet de nouvelle constitution. Au terme d’une lecture attentive me voici arrivé aux remarques ci-après :
Avec la nouvelle constitution, le Président de la République peut valablement porter son manteau de militant.
L’article 38 de la constitution en vigueur interdit clairement au Chef de l’Etat d’exercer des responsabilités au sein d’un parti politique. Aujourd’hui on s’aperçoit jusqu’à quel point cette disposition fait mal à l’actuel locataire de Sèkhoutouréya qui, d’ailleurs n’a jamais cessé d’exercer au sein du RPG, malgré l’incompatibilité liée à sa fonction. N’a-t-il pas nargué tout le monde en affirmant publiquement qu’il hottait son manteau de Président pour porter celui du simple militant ? Et bien pour taire les critiques à son encontre, le Président CONDE gomme dans sa nouvelle constitution l’interdiction faite à lui d’exercer des responsabilités au sein d’une formation politique. En tout cas dans le sous-titre I du TITRE III de l’avant-projet de nouvelle constitution portant attribution du Président de la République, il n’est nullement fait référence à cette disposition.
Le nombre et la durée du mandat du président de la république.
Dans l’avant-projet de nouvelle constitution il est dit ceci dans l’article 40, citation :’’Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de 6 ans, renouvelable une fois.’’ En analysant la ‘’lettre’’ de cette disposition on peut dégager deux observations. La première est relative bien sûr à la durée de mandat qui passe de 5 ans à 6ans. Là n’est peut-être pas le problème. Le problème c’est lorsque les intangibilités énumérées à l’article158 ne concernent curieusement que le nombre et non la durée du mandat présidentiel. Nous estimons ici que le piège peut être lié au fait que n’importe quel président de la république en exercice peut s’offrir le droit de réviser l’article 40 (cité haut) en manipulant la durée de mandat à sa guise car elle n’est point intangible. L’autre chose qui n’est pas à négliger à mon avis, c’est le caractère évasif de la façon dont le nombre de mandat est évoqué. Pourquoi avoir amputé le dernier alinéa de l’article 27 de la constitution du 7 mai qui est repris à l’aricle 40 de l’avant-projet ? L’alinéa concerné dans la constitution du 7 mai précise : ‘’En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs ou non’’. Mais encore curieusement, les mercenaires de droit ont coupé en bons chirurgiens cette précision hautement importante. Que cachent-ils ?
Vers un bâillonnement des mouvements syndicaux !
En parcourant cet avant-projet de nouvelle constitution un autre constat nous saute aux yeux. C’est la question syndicale. On se rend compte à quel point la grève du Syndicat Libre des Enseignants et Chercheurs de Guinée (SLECG) dirigé par Aboubacar SOUMAH a laissé des mécontents dans le camp présidentiel. Ce mécontentement se manifeste jusque dans le projet de nouvelle constitution. En effet l’article154 de la constitution de 7 mai 2010 érige le pluralisme syndical au rang des dispositions intangibles. Curieusement, l’équivalent de cet article dans l’avant-projet de nouvelle constitution dénie catégoriquement ce droit aux syndicats. Là également, les ‘’chirurgiens’’ ont fait l’ablation de cette disposition. A moins qu’il ne s’agisse d’une simple omission qui pourra être corrigé plus tard.
Tout porte à croire que si ce projet de nouvelle constitution passe tel que prévu, le mouvement syndical serait l’une des toutes premières victimes.
Mohamed Lamine Sylla, journaliste et analyste politique