Non, mon Colonel ne les écoutez pas. En vérité ils ne vous aiment pas et ne sont pas prêts de changer d’avis. En pays Soussou on dit que « ton ex ennemi reste ton ennemi quoiqu’il raconte ». Si aujourd’hui ils vous regardent et vous voient encore dressé de votre piédestal, c’est qu’ils n’ont pas encore eu l’occasion de vous démolir. Le fait pour vous de sauver le pays de la tyrannie du régime Condé ne fait malheureusement pas que des heureux. Loin de moi la volonté de verser dans la stigmatisation ou l’étiquetage de qui que se soit. En écrivant ces quelques lignes j’ai juste voulu attirer votre attention sur le danger qui planerait sur vous et par ricochet sur le pays tout entier. Ceux-là qui me connaissent savent que le politiquement correcte n’est pas de mes habitudes. Je refuse donc de les décevoir en m’y prêtant dans le présent exercice. Je préfère tout simplement peindre la réalité telle quelle se présente et telle que je la conçois. Et, cette réalité telle qu’elle est de nos jours montre sans ambages que les dignitaires du régime déchu n’ont pas dit leurs derniers mots. A leurs arcs, ils disposent de nombreuses cordes. Il y a des plus acérées comme des plus douces mais redoutables. Ces dernières se trouvent d’ailleurs être leurs prédilections étant donné la posture quelque peu faible dans laquelle ils se présentent après le coup de force. Je reviendrais beaucoup plus explicitement sur cet aspect dans les prochaines lignes, c’est promis. En bon militaire que vous êtes, Mon Colonel, je crois volontiers que ce que je tente de décrire ici est pour vous un secret de polichinelle. Vous êtes un homme averti. Suffisamment averti pour ne pas tomber dans des pièges qui ont toujours fait échouer les espoirs dans notre pays.
Précision non moins importante. J’en voudrais à ma conscience si je mettais dans le même panier tous les dignitaires de l’ex pouvoir. Il n’y a pas que de mauvais, convenons-en. Mais lorsque la majorité domine, la logique voudrait que l’on ait une dose de prudence, étant donné la difficulté qu’il y a à distinguer les mauvaises graines des bonnes, surtout en pareille circonstance. Sans ambages donc je déclare ici que parmi les compatriotes qui souhaitent du fond d’eux l’échec de cette transition, les dignitaires du régime défunt sont les plus nombreux. Cela n’est pas difficile à prouver et à comprendre. Inutile donc de s’y attarder ici.
Plus grave encore, c’est qu’ils seront (si ce n’est d’ailleurs le cas) soutenu dans cette entreprise funeste par certains politiques dont la représentativité dans l’échiquier national laisse à désirer. A la différence des premiers, les seconds ne vous détestent pas. Mais ils sont dans leur rôle de toujours. Ce sont des businessmen de la politique en un mot. Eux ils ne jurent que par et pour leur intérêt égoïste et non celui de la patrie. Ils l’ont d’ailleurs suffisamment démontré sous le règne d’Alpha Condé. Comme des charognards, ils se meuvent de gauche à droite et inversement, selon les intérêts encore une fois égoïstes et abjectes. Pour eux, peu importe que le Colonel réussissent et rentre dans l’histoire. Le plus important à leurs yeux est qu’ils trouvent leur compte personnel. Voilà donc les deux clans qui risquent, si l’on y prend garde, de faire capoter la transition actuelle. Les premiers par haine contre le Colonel Doumbouya (qui leur a tiré le bifteck à la bouche) et les seconds par égoïsme d’une part et de l’autre, par jalousie contre leurs pairs de l’opposition dont ils haïssent l’ascension.
Sur leur modus operandi, la probabilité qu’ils tentent un autre coup de force est minime, même si l’on ne doit à aucun moment baisser la garde. En revanche, ils sont politiquement très habiles et ça, vous ne devez pas l’ignorer Mon Colonel. En bons stratèges ils (toujours les deux groupes) mettront à contribution toutes les ressources politiques dont ils disposent encore pour vous faire regretter votre acte que nous autres qualifions de patriotique. Ils l’ont d’ailleurs commencé sans doute. Ils désapprouvent tout acte de votre part visant à susciter l’approbation de la masse. C’est le cas par exemple de votre passage au tristement célèbre cimetière de Bambeto ou encore de vos différentes communions avec la jeunesse, celle de l’axe en particulier. Ils parlent plutôt de populisme de votre part. Lorsque vous voulez honorer votre engagement de MORALISER LA VIE PUBLIQUE en récupérant les biens mal acquis, ils parlent de règlement de compte. Lorsque, dans le choix des hommes devant conduire la transition en cours vous faites appel à certains éléments réputés être de l’anciens régime, ils sont contents et vous applaudissent. Est-ce par amour pour vous ou est-ce qu’ils souhaitent la rupture de la confiance née entre vous et l’opinion publique qui trouve en vous son salut ? Je vous laisse le soin de répondre sagement à cette interrogation, cher Colonel. Lorsque vous avez affirmé à juste titre devant les jeunes qu’il n’y aura pas de RECYCLAGE, ils étaient mécontents. Mais, une fois de plus, en bons politiques, ils ont plutôt décidé de galvauder le terme en affirmant malencontreusement que cela signifierait qu’il faille remonter et fouillé dans l’histoire jusqu’à obtenir la tête d’un individu dont ils craignent inutilement la venue à la magistrature. D’ailleurs arrêtons-nous un peu sur ce point. Souvent ils scandent à cor et à crie le rajeunissement de la classe politique du pays. Là n’est peut-être pas le problème. Le problème c’est lorsqu’ils demandent à ce que cela soit décrété, reniant ainsi au peuple souverain de Guinée la légitimité de choisir librement ses dirigeants. Mais voyons plutôt l’idée obscène qu’ils cachent derrière cette option. Leurs vœux est qu’il y ait un désamour total entre vous et les leaders majeurs de la classe politique au point de vous conduire à l’impasse et (Dieu nous en préserve) à l’irréparable comme ce fut, hélas, le cas avec la précédente transition. En gros il faut faire flèche de tout bois pour faire regretter au peuple son adhésion au putsch du 5 septembre. Aujourd’hui ils sont conscients du fait que plus vous réussissez dans votre mission, moins l’opinion sera nostalgique de leur règne passé. Lequel règne fut, rappelons-le, dramatique pour bon nombre de nos compatriotes. Or, ils oublient qu’on aime aujourd’hui le Colonel Doumbouya ou non, en bon guinéen, nous devons souhaiter sa réussite à la tête du pays pendant cette transition. C’est cela l’esprit patriotique, pourvu qu’on en ait un.
Leurs manœuvres sordides visant à vous faire désavouer par l’opinion sont innombrables. Pour eux il faut toujours créer et alimenter un point de friction entre vous et votre peuple. Vous les entendrez dire que cette transition doit durer 3ans voir 5ans. Ils ne sont pas bêtes. Encore une fois, ils sont politiquement très fourbes. Pour quel intérêt font-ils une telle proposition ? Est-ce parce qu’ils vous aiment tant et aiment votre pouvoir ? Soutenir cela serait d’une naïveté extrême. Certes, nous n’avons pas intérêt à ce que cette transition soit bâclée. Ce n’est dans l’intérêt de personne. Mais nous n’avons pas non plus intérêt à ce quelle perdure ad vitam aeternam. La transition est un moment, une liaison marquant le passage d’un état à un autre. Ainsi, le mot perd son sens dès lors qu’il s’inscrira dans la durée. Tout le monde sait qu’une transition trop longue, de surcroit dans le contexte actuel, fera naitre des difficultés qui s’avéreront difficiles à contenir. Très honnêtement, au stade où on en est, le pays n’a pas besoin de brouilles inutiles. A vous donc, Mon Colonel, de garder la même lucidité qui a sous-tendu votre venue et caractérisé vos premiers pas jusqu’ici adulés par vos compatriotes. Bon vent à vous cher ! Que Dieu bénisse la Guinée et les Guinéens ! Je vous remercie !
Mohamed Lamine SYLLA, Secrétaire Exécutif National du parti Rassemblement Pour la République (RPR).