Les Sénégalais sont appelés aux urnes dimanche pour élire leur nouveau président au cours de l’élection la plus ouverte jamais organisée dans le pays. Un scrutin qui intervient quelques semaines après une profonde crise politique provoquée par l’annulation, puis le report de la présidentielle. Rappel des faits.
Le Sénégal s’apprête à vivre l’épilogue d’un feuilleton électoral aux multiples rebondissements. Dimanche 24 mars, sept millions d’électeurs sont appelés aux urnes à travers le pays pour élire le prochain président de la République.
Cette élection est exceptionnelle à plus d’un titre. Tout d’abord parce qu’elle marque la fin de la présidence de Macky Sall, après douze années au pouvoir. Avec 17 candidats en lice, il s’agit par ailleurs de l’élection présidentielle la plus ouverte depuis l’indépendance du pays, en 1960.
Enfin, elle constitue le point d’orgue d’une intense bataille politique autour de la date du scrutin, initialement prévu le 25 février, et dont l’annulation trois semaines plus tôt par le président avait provoqué une onde de choc dans le pays. France 24 retrace les différentes étapes de cette crise démocratique inédite.
Interruption surprise de la présidentielle
Samedi 3 février, Macky Sall prend la parole à la télévision nationale. À quelques heures du début de la campagne présidentielle, il annonce, contre toute attente, le report sine die du scrutin.
« Notre pays est confronté depuis quelques jours à un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges », explique-t-il alors, estimant que cette situation menace la crédibilité du scrutin.
Quatre jours plus tôt, le Parlement sénégalais a approuvé une enquête parlementaire pour faire la lumière sur les conditions d’invalidation des candidatures. Celle-ci avait été réclamée par le parti de Karim Wade, écarté de la course présidentielle car détenteur de la nationalité française, alors que seuls les candidats sénégalais – et uniquement sénégalais – peuvent concourir. Ses soutiens affirmaient suspecter deux juges du Conseil constitutionnel d’avoir des « connexions douteuses » avec certains d’entre eux, notamment Amadou Ba, Premier ministre et dauphin désigné de Macky Sall.
Au même moment, une autre candidate, Rose Wardini, dont la candidature a été validée par le Conseil constitutionnel, est placée en garde à vue pour « faux et usage de faux et escroquerie au jugement », suspectée d’avoir elle aussi la double nationalité franco-sénégalaise.
Manœuvre politicienne ?
Pour Macky Sall, « ces conditions troubles » pourraient « instaurer les germes d’un contentieux pré et post-électoral ». « Notre pays ne peut se permettre de connaître une nouvelle crise » après les épisodes de violence de mars 2021 et de juin 2023, souligne le président.
Macky Sall annonce la mise en place d’un « dialogue national » pour « une élection libre, transparente et inclusive », tout en réaffirmant son engagement à ne pas se porter candidat.
Mais cette décision suscite de nombreuses interrogations au Sénégal, notamment du fait que les députés du parti au pouvoir ont eux-mêmes voté en faveur de la création de la commission d’enquête parlementaire. Alors que ceux-ci affirment vouloir laver l’honneur de leur candidat Amadou Ba, l’opposition fustige une manœuvre destinée à torpiller la présidentielle et éviter la défaite du candidat de la majorité.
Contesté jusque dans son propre camp, le Premier ministre Amadou Ba fait face à deux candidatures dissidentes : celles de l’ancien ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, et de l’ex-Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne, un temps directeur de cabinet du chef de l’État.
Mais de l’avis général, la menace pour le candidat du pouvoir vient surtout de Bassirou Diomaye Faye, perçu comme le principal opposant, choisi par Ousmane Sonko pour le remplacer à la présidentielle après l’invalidation de sa candidature.
Réagissant à la décision de Macky Sall d’interrompre l’élection, Amadou Ba (homonyme à ne pas confondre avec le Premier ministre), juriste et soutien de Bassirou Diomaye Faye, fustige des arguments « d’une légèreté inouïe », indiquant que la commission d’enquête n’a été mise en place que sur « de simples soupçons de corruption ».
Au lendemain du discours du chef de l’État, des centaines de Sénégalais manifestent à Dakar, où des heurts éclatent avec les forces de l’ordre.
Report de l’élection au 15 décembre
Pour annuler le scrutin, Macky Sall a abrogé le décret convoquant le corps électoral. Reste à fixer une nouvelle date. La coalition de Karim Wade, qui demande un report de six mois, soumet alors une proposition de loi au Parlement. Dans un contexte particulièrement tendu, les députés approuvent finalement, le 5 février, le report du scrutin au 15 décembre, jugeant la date initialement proposée, le 25 août, peu propice du fait de la saison des pluies.
Mais cette nouvelle échéance entraîne de facto une prolongation de dix mois supplémentaires du mandat de Macky Sall, censé prendre fin le 2 avril. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer un « coup d’État constitutionnel » permettant au président de se maintenir au pouvoir.
Plusieurs candidats à la présidentielle déposent alors des recours devant la Cour suprême et le Conseil constitutionnel pour faire barrage à ce report.
Dans les rues, la tension monte d’un cran. Le 9 février et les jours suivants, des manifestations organisées à travers le pays sont réprimées par la police. Quatre Sénégalais meurent à Saint-Louis, Dakar et Ziguinchor, dans le sud du pays, dans le cadre de ces événements qui constituent la pire flambée de violence de cette période de crise.
France24