Les mandats d’arrêt lancés par la Cour pénale internationale, jeudi, à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l’ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant et le chef militaire du Hamas Mohammed Deif marquent un « moment historique » dans l’histoire de la juridiction, selon Johann Soufi, avocat spécialiste en droit international.
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité ». En émettant, jeudi 21 novembre, des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant pour des crimes qui auraient été commis dans la bande de Gaza en réponse aux attaques meurtrières du Hamas du 7 octobre 2023, la Cour pénale internationale (CPI) a déclenché l’ire de l’État hébreu.
Le chef du gouvernement israélien, dont le pays n’est pas signataire du Statut de Rome et ne reconnaît pas la juridiction de la Cour, a aussitôt qualifié d' »antisémite » cette décision.
« Israël rejette avec dégoût les actions absurdes et les accusations mensongères qui le visent de la part de la (CPI) » dont les juges « sont animés par une haine antisémite à l’égard d’Israël », a déclaré Benjamin Netanyahu dans un communiqué, s’estimant victime d’un « nouveau procès Dreyfus ».
Désormais, les déplacements des deux dirigeants israéliens sont limités, chacun des 125 États membres de la Cour – dont les États-Unis ne font pas partie – étant théoriquement obligé de les arrêter s’ils se trouvaient sur leur territoire.
Si la Cour ne dispose d’aucune force de police pour faire appliquer ses mandats, et compte sur le bon vouloir de ses États membres pour exécuter ses décisions, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a d’ores et déjà indiqué que ces mandats d’arrêt devaient être respectés et appliqués.
Selon les spécialistes de droit international, la Cour – qui a également émis un mandat d’arrêt contre le chef militaire du Hamas, Mohammed Deif, pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis en Israël et dans la bande de Gaza – a pris une décision qui fera date.
Pour Johann Soufi, avocat spécialiste en droit international, spécialiste de la CPI, ancien responsable du département juridique de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens à Gaza (2020 et 2023), ces décisions marquent un « moment historique » pour la juridiction.
France 24 : Quel regard portez-vous sur la décision de la chambre préliminaire de la CPI d’émettre des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu, Yoav Gallant et Mohammed Deif ?
Johann Soufi : En délivrant ces mandats, la Cour répond aux attentes des victimes, mais aussi de tous ceux qui croient en la justice internationale. Cette décision n’est cependant pas une surprise, car elle confirme l’analyse juridique déjà formulée par la majorité des spécialistes du droit international, qui décrivent à la fois les opérations israéliennes dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, et l’attaque du Hamas du 7-Octobre, comme des violations du droit international humanitaire et des crimes relevant du statut de la CPI. Cette analyse était notamment celle du procureur de la CPI, Karim Khan, lorsqu’il a demandé aux juges de la Cour de délivrer ces mandats d’arrêt il y a six mois.
Ces accusations reflètent la gravité des crimes commis à Gaza, documentés quotidiennement par les habitants, les organisations humanitaires sur place et les experts chargés de qualifier ces violations. De plus en plus d’experts vont d’ailleurs plus loin dans leur analyse juridique, qualifiant désormais certains faits de génocide. C’est notamment le cas de Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’Homme dans les Territoires palestiniens occupés, et du Comité spécial des Nations unies chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes.
Cette décision fera-t-elle date ?
Oui, il s’agit, selon moi, d’un moment historique pour la CPI, qui contribuera, à terme, à renforcer sa légitimité. Depuis sa création, la Cour a souvent été accusée d’être un instrument politique, incapable de s’attaquer aux puissants. Il faut reconnaître que, pendant près de vingt ans, tous les accusés poursuivis étaient des responsables africains, pour la plupart de rang intermédiaire.
Un premier tournant a eu lieu en 2023, lorsque la CPI a émis un mandat d’arrêt contre des responsables russes, notamment le président Vladimir Poutine, pour les crimes commis en Ukraine. C’était la première fois qu’elle engageait des poursuites contre un dirigeant d’une grande puissance, qui plus est doté de l’arme nucléaire. Cependant, les critiques ont perduré, dénonçant une instrumentalisation de la Cour au service des puissances occidentales et son incapacité à enquêter sur leurs propres crimes ou ceux de leurs alliés, comme en Afghanistan ou en Palestine.
Ces reproches ont gagné en intensité ces derniers mois, face à ce qui était perçu comme un silence de la Cour concernant les crimes commis à Gaza. En ce sens, ces poursuites étaient particulièrement attendues, notamment par les pays du Sud global, tels que l’Afrique du Sud, le Mexique ou le Chili.
C’est également historique car la Cour démontre que tous les individus, qu’ils soient puissants ou non, proches ou éloignés des intérêts occidentaux, doivent répondre de leurs actes lorsqu’ils commettent des crimes qui heurtent notre conscience collective.
Cela démontre que tous les individus sont égaux au regard du droit international et devant les juridictions internationales, qu’ils soient auteurs de crimes ou victimes.
Benjamin Netanyahu a vivement réagi contre le mandat d’arrêt qui le vise, en le comparant à un nouveau « procès Dreyfus » et en jugeant la Cour « antisémite ». Les magistrats qui composent la CPI sont-ils politisés ?
Non, ce n’est pas le cas. Il est fréquent, voire systématique, que les individus poursuivis pour des crimes internationaux critiquent et dénigrent les juridictions qui les mettent en cause. Les attaques de Benyamin Netanyahu à l’encontre de la Cour, et plus largement contre toute entité internationale dénonçant le caractère criminel de ce qui se passe actuellement à Gaza, s’inscrivent dans cette logique.
La CPI a démontré, au fil des années, qu’elle savait rester indépendante et impartiale. C’est précisément cette indépendance et cette impartialité que lui demandent les 125 États parties au Statut de Rome, ainsi que l’ensemble des victimes et plus généralement la communauté internationale.
Est-il envisageable de voir un jour Benjamin Netanyahu ou Yoav Gallant comparaître devant la CPI, Israël n’ayant pas ratifié le Statut de Rome ? Pensez-vous vraiment qu’un État membre prendra la responsabilité d’arrêter l’un des deux dirigeants israéliens ?
C’est un pari sur l’avenir. Mon expérience professionnelle m’a appris que la réalité d’un jour n’est pas toujours celle du lendemain. Aujourd’hui, et cela vaut également pour Vladimir Poutine, la probabilité que ces deux responsables israéliens soient arrêtés semble faible. Cependant, une chose est certaine : le monde de Benjamin Netanyahu vient de se rétrécir considérablement. Désormais, 125 États ont l’obligation juridique de l’arrêter s’il pose le pied sur leur territoire.
La France et les Pays-Bas, par exemple, ont déjà affirmé leur volonté de coopérer pleinement avec la Cour et de mettre en œuvre les mandats d’arrêt si l’occasion se présente. J’ai bon espoir que d’autres États adoptent une position similaire, en cohérence avec leurs engagements internationaux. Signer le Statut de Rome, c’est s’engager à le respecter. C’est là le fondement même du droit international.
Il en va donc de la crédibilité du droit international ?
Oui, car le droit international repose avant tout sur la volonté des États de le respecter et de le mettre en œuvre. C’est une bataille constante, où chaque entrave contribue à son affaiblissement.
Prenons l’exemple de la Mongolie, qui a manqué à ses obligations lorsque Vladimir Poutine s’y est rendu en septembre dernier. Ce manquement a incontestablement affaibli la CPI.
Mais au-delà, c’est avant tout la crédibilité des États eux-mêmes qui est en jeu. Lorsqu’un État viole le droit international, qu’il s’est pourtant engagé à respecter, il perd inévitablement en crédibilité politique et contribue à l’insécurité globale. Toute la question est de savoir si nous souhaitons promouvoir un monde fondé sur le droit ou sur la force.
France24
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