Relancé dans les années 1990, le projet d’exploitation du gisement de fer de la chaîne des monts du Simandou, à l’est de la Guinée, devrait se concrétiser d’ici à la fin de 2025. RFI retrace les grandes étapes de ce chantier titanesque aux multiples rebondissements.
Pour la junte guinéenne, c’est sans doute l’un des dossiers les plus importants depuis le renversement du président Alpha Condé en septembre 2021. C’est à l’aune de la réussite du projet Simandou que beaucoup jugeront l’action du général Mamadi Doumbouya. Pour le militaire, la mise en exploitation du gisement de fer constituera sans doute une étape décisive dans sa quête de légitimité à condition qu’elle parvienne à impulser des changements majeurs pour le pays.
Son entourage insiste sur son rôle déterminant du président de la transition dans l’aboutissement de ce projet vieux de plus de trente ans, même si cet avis est nuancé par nombre d’experts. Les Guinéens devraient effectivement assister d’ici à la fin de 2025 ou au début de 2026 à l’exportation des premières tonnes de fer extraites des monts du Simandou. Pendant des décennies, ce projet a fait figure « d’éléphant blanc », alimentant la chronique des ambitions africaines qui, jamais ne se concrétisent.
Il faut dire que les travaux entrepris pour qu’il devienne réalité sont colossaux. Plus de quinze milliards de dollars ont été investis. Il aura fallu aménager les sites miniers, poser plus de 600 kilomètres de voies ferrées, creuser des tunnels, bâtir des ponts et même construire un port minéralier à Forecariah, non loin de Conakry. Des sommes en grande partie apportés grâce à des groupes privés, chinois pour la plupart. Mais les réserves de fer de Simandou sont uniques : plus de huit milliards de tonnes d’une très haute teneur. Les experts parlent même de « caviar ». Une matière première qui sera ensuite exportée vers la Chine pour fabriquer de l’acier.
Pour la Guinée, c’est la promesse de revenus additionnels conséquents sur plusieurs décennies, qui s’ils sont bien gérés, doivent aider le pays à décoller.
Les premiers espoirs
La présence de fer dans le sous-sol des monts du Simandou est connue des populations bien avant les premiers relevés géologiques. On a retrouvé dans cette zone des traces de haut fourneaux traditionnels et des reliques de fer forgé. Selon un courrier de Rio Tinto daté de 2005, le groupe anglo-australien estime lui que les premiers indices sérieux datent des années 1930. Mais c’est après l’indépendance du pays, vers 1970 que des géologues confirment le potentiel de la zone. Dès cette période, le président Sékou Touré envisage une coopération internationale pour exploiter le fer guinéen.
Des contacts sont noués avec le Japon et, en avril 1973, un accord est signé avec la Nippon-Koei afin d’étudier la construction d’un réseau ferré pour évacuer la bauxite du centre et du nord du pays, mais aussi le minerai de fer des monts Nimba et du Simandou, jusqu’à Conakry. La construction de ce chemin de fer est déjà présentée comme un fort vecteur d’intégration notamment pour l’est de la Guinée. La réalisation du réseau ferré et des installations portuaires est alors estimée à 1,2 milliard de dollars. En parallèle, les études misent aussi sur une évacuation du fer via le port de Buchanan, au Liberia voisin. On prévoit une entrée en exploitation pour le début des années 80.
1997, Rio Tinto obtient les quatre concessions
À la fin des années 1990, le sous-sol des monts du Simandou reste largement inexploré. Le groupe anglo-australien Rio Tinto, alors deuxième producteur de fer au monde, s’engage à effectuer les premiers forages pour confirmer son potentiel. En février 1997, le gouvernement lui accorde des permis de recherche couvrant une superficie de 1460,97 km2. Sept ans s’écoulent. Les résultats des sondages sont probants, mais Rio Tinto tarde à investir massivement pour développer le projet. Un bras de fer s’engage alors avec les autorités guinéennes qui, en s’appuyant sur le Code minier, demandent la rétrocession de la moitié de la superficie des permis de recherche. En 2006, un accord est trouvé et Rio Tinto obtient une concession minière sur 4 blocs (deux au Nord et deux au Sud) d’une durée de 25 ans, renouvelables pour des périodes de 10 ans.
Mais le groupe anglo-australien ne fait toujours pas du projet Simandou une priorité, préférant concentrer ses investissements sur d’autres sites, notamment en Australie. Le coût de construction du chemin de fer reste prohibitif. C’est à cette période que le diamantaire franco-israélien Beny Steinmetz, déjà présent avec son groupe BSGR dans le pays, se rapproche de Mamadie Touré, la quatrième épouse du président Lansana Conté. Entre 2006 et 2012, il lui versera au travers de plusieurs sociétés écrans dix millions de dollars afin d’obtenir des droits miniers dans le pays. Peu avant le décès de Lansana Conté en 2008, BSGR décroche la concession des blocs 3 et 4 de Simandou, qui viennent d’être rétrocédés par Rio Tinto. Deux ans plus tard, il revend 51% de ses droits pour 2,5 milliards de dollars au Brésilien Vale réalisant une plus-value 30 fois supérieure à ses investissements.
2014, Alpha Condé dénonce un pacte de corruption
Arrivé au pouvoir fin 2010, Alpha Condé s’intéresse immédiatement au projet Simandou. Il met la pression sur Rio Tinto qui accepte après de longues négociations de payer, en 2011, 700 millions de dollars en compensation pour le retard pris par le groupe anglo-australien dans le cadre de la mise en exploitation des blocs 1 et 2. Ce dernier réalise alors des études de faisabilité poussées. Alpha Condé veut faire de Simandou un moteur de la transformation du pays.
En 2014, un comité d’audit met en évidence des pratiques de corruption qui poussent le président guinéen à retirer à BSGR et Vale les concessions accordées sur les blocs 3 et 4 en 2008. Conakry et l’homme d’affaires franco-israélien se lancent alors dans une intense bataille judiciaire multipliant les procédures en France, au Royaume-Uni, en Australie, en Suisse, aux États-Unis et en Guinée. En 2019, l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, se rend personnellement à Conakry pour jouer les médiateurs et trouve un accord entre les parties. Beny Steinmetz renonce à ses droits sur le Simandou, en échange d’un abandon des poursuites en Guinée. Mais cet arrangement ne met pas fin aux investigations engagées par le parquet de Genève. L’affaire est jugée une première fois en 2021. L’homme d’affaires est condamné, mais fait appel. En 2023, il voit sa peine être allégée : trois ans de prison, dont 18 mois ferme. Il forme un recours devant le tribunal fédéral, qui confirme en mars dernier la sanction. Le diamantaire a annoncé se tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme.
Guinée: de Sekou Touré à Mamadi Doumbouya, l’incroyable histoire du gisement de fer de Simandou
Relancé dans les années 1990, le projet d’exploitation du gisement de fer de la chaîne des monts du Simandou, à l’est de la Guinée, devrait se concrétiser d’ici à la fin de 2025. RFI retrace les grandes étapes de ce chantier titanesque aux multiples rebondissements.
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Pour la junte guinéenne, c’est sans doute l’un des dossiers les plus importants depuis le renversement du président Alpha Condé en septembre 2021. C’est à l’aune de la réussite du projet Simandou que beaucoup jugeront l’action du général Mamadi Doumbouya. Pour le militaire, la mise en exploitation du gisement de fer constituera sans doute une étape décisive dans sa quête de légitimité à condition qu’elle parvienne à impulser des changements majeurs pour le pays.
Son entourage insiste sur son rôle déterminant du président de la transition dans l’aboutissement de ce projet vieux de plus de trente ans, même si cet avis est nuancé par nombre d’experts. Les Guinéens devraient effectivement assister d’ici à la fin de 2025 ou au début de 2026 à l’exportation des premières tonnes de fer extraites des monts du Simandou. Pendant des décennies, ce projet a fait figure « d’éléphant blanc », alimentant la chronique des ambitions africaines qui, jamais ne se concrétisent.
Il faut dire que les travaux entrepris pour qu’il devienne réalité sont colossaux. Plus de quinze milliards de dollars ont été investis. Il aura fallu aménager les sites miniers, poser plus de 600 kilomètres de voies ferrées, creuser des tunnels, bâtir des ponts et même construire un port minéralier à Forecariah, non loin de Conakry. Des sommes en grande partie apportés grâce à des groupes privés, chinois pour la plupart. Mais les réserves de fer de Simandou sont uniques : plus de huit milliards de tonnes d’une très haute teneur. Les experts parlent même de « caviar ». Une matière première qui sera ensuite exportée vers la Chine pour fabriquer de l’acier.
Pour la Guinée, c’est la promesse de revenus additionnels conséquents sur plusieurs décennies, qui s’ils sont bien gérés, doivent aider le pays à décoller.
Les premiers espoirs
La présence de fer dans le sous-sol des monts du Simandou est connue des populations bien avant les premiers relevés géologiques. On a retrouvé dans cette zone des traces de haut fourneaux traditionnels et des reliques de fer forgé. Selon un courrier de Rio Tinto daté de 2005, le groupe anglo-australien estime lui que les premiers indices sérieux datent des années 1930. Mais c’est après l’indépendance du pays, vers 1970 que des géologues confirment le potentiel de la zone. Dès cette période, le président Sékou Touré envisage une coopération internationale pour exploiter le fer guinéen.
Des contacts sont noués avec le Japon et, en avril 1973, un accord est signé avec la Nippon-Koei afin d’étudier la construction d’un réseau ferré pour évacuer la bauxite du centre et du nord du pays, mais aussi le minerai de fer des monts Nimba et du Simandou, jusqu’à Conakry. La construction de ce chemin de fer est déjà présentée comme un fort vecteur d’intégration notamment pour l’est de la Guinée. La réalisation du réseau ferré et des installations portuaires est alors estimée à 1,2 milliard de dollars. En parallèle, les études misent aussi sur une évacuation du fer via le port de Buchanan, au Liberia voisin. On prévoit une entrée en exploitation pour le début des années 80.
1997, Rio Tinto obtient les quatre concessions
À la fin des années 1990, le sous-sol des monts du Simandou reste largement inexploré. Le groupe anglo-australien Rio Tinto, alors deuxième producteur de fer au monde, s’engage à effectuer les premiers forages pour confirmer son potentiel. En février 1997, le gouvernement lui accorde des permis de recherche couvrant une superficie de 1460,97 km2. Sept ans s’écoulent. Les résultats des sondages sont probants, mais Rio Tinto tarde à investir massivement pour développer le projet. Un bras de fer s’engage alors avec les autorités guinéennes qui, en s’appuyant sur le Code minier, demandent la rétrocession de la moitié de la superficie des permis de recherche. En 2006, un accord est trouvé et Rio Tinto obtient une concession minière sur 4 blocs (deux au Nord et deux au Sud) d’une durée de 25 ans, renouvelables pour des périodes de 10 ans.
Mais le groupe anglo-australien ne fait toujours pas du projet Simandou une priorité, préférant concentrer ses investissements sur d’autres sites, notamment en Australie. Le coût de construction du chemin de fer reste prohibitif. C’est à cette période que le diamantaire franco-israélien Beny Steinmetz, déjà présent avec son groupe BSGR dans le pays, se rapproche de Mamadie Touré, la quatrième épouse du président Lansana Conté. Entre 2006 et 2012, il lui versera au travers de plusieurs sociétés écrans dix millions de dollars afin d’obtenir des droits miniers dans le pays. Peu avant le décès de Lansana Conté en 2008, BSGR décroche la concession des blocs 3 et 4 de Simandou, qui viennent d’être rétrocédés par Rio Tinto. Deux ans plus tard, il revend 51% de ses droits pour 2,5 milliards de dollars au Brésilien Vale réalisant une plus-value 30 fois supérieure à ses investissements.
2014, Alpha Condé dénonce un pacte de corruption
Arrivé au pouvoir fin 2010, Alpha Condé s’intéresse immédiatement au projet Simandou. Il met la pression sur Rio Tinto qui accepte après de longues négociations de payer, en 2011, 700 millions de dollars en compensation pour le retard pris par le groupe anglo-australien dans le cadre de la mise en exploitation des blocs 1 et 2. Ce dernier réalise alors des études de faisabilité poussées. Alpha Condé veut faire de Simandou un moteur de la transformation du pays.
En 2014, un comité d’audit met en évidence des pratiques de corruption qui poussent le président guinéen à retirer à BSGR et Vale les concessions accordées sur les blocs 3 et 4 en 2008. Conakry et l’homme d’affaires franco-israélien se lancent alors dans une intense bataille judiciaire multipliant les procédures en France, au Royaume-Uni, en Australie, en Suisse, aux États-Unis et en Guinée. En 2019, l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, se rend personnellement à Conakry pour jouer les médiateurs et trouve un accord entre les parties. Beny Steinmetz renonce à ses droits sur le Simandou, en échange d’un abandon des poursuites en Guinée. Mais cet arrangement ne met pas fin aux investigations engagées par le parquet de Genève. L’affaire est jugée une première fois en 2021. L’homme d’affaires est condamné, mais fait appel. En 2023, il voit sa peine être allégée : trois ans de prison, dont 18 mois ferme. Il forme un recours devant le tribunal fédéral, qui confirme en mars dernier la sanction. Le diamantaire a annoncé se tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme.
2019, l’arrivée de Winning relance le projet
En 2018, Simandou est une nouvelle fois au point mort. Après deux ans d’études, Rio Tinto interrompt les travaux sur les blocs 3 et 4. La mise en exploitation du gisement coûte trop cher et Chinalco, qui est son partenaire sur ce projet depuis 2010, ne veut pas racheter ses parts dans l’entreprise commune qui détient la concession (Simfer). L’espoir renaît avec l’arrivée du Consortium Winning Consortium Simandou (WCS), qui remporte fin 2019 l’appel d’offres pour les blocs 1 et 2 retirés à BSGR et Vale. WCS réunit deux groupes chinois : la compagnie maritime Winning Shipping fondée à Hong Kong et aujourd’hui basée à Singapour, ainsi que Shandong Weiqiao, une importante société d’aluminium. Ces deux groupes répondent au souhait de Pékin de diversifier ses approvisionnements en fer, notamment pour ne plus dépendre de l’Australie. Ils sont associés au Libanais Fadi Wazny, patron de la société logistique UMS, actif depuis 20 ans dans le pays. Tous sont également associés depuis 2014 dans la Société minière de Boké (bauxite). Dès 2020, WCS signe des contrats avec l’État et entame les travaux du chemin de fer par le creusement des tunnels et la construction des grands ouvrages de franchissement.
2022, Mamadi Doumbouya met la pression
Comme Alpha Condé, qu’il vient de renverser, Mamadi Doumbouya place les projets miniers au cœur de sa politique économique. Dans une de ses toutes premières interventions en tant que chef de la junte en septembre 2021, il s’adresse aux groupes miniers en leur assurant qu’il respectera leurs contrats. Cela ne l’empêche pas de mettre rapidement la pression sur Rio Tinto (Simfer) et WCS pour qu’un accord soit trouvé afin qu’ils s’associent pour financer les infrastructures du projet. Plus de 650 kilomètres de voies ferrées de Beya à Forecariah, où il faut aussi construire un port minéralier. Le dossier va être géré directement à la présidence par son directeur de cabinet, Djiba Diakité.
Le groupe anglo-australien qui voit aussi d’un mauvais œil la réalisation d’un chemin de fer détenu à 100% par des intérêts chinois, se rallie à la position guinéenne. La nouvelle alliance est signée début 2022. Toutefois, son application tarde une fois de plus à se matérialiser et Mamadi Doumbouya hausse à nouveau le ton estimant que les droits de la Guinée, qui veut être actionnaire des infrastructures, ne sont pas respectés. En juin 2022, il fait stopper tous les travaux et menace de retirer les titres miniers. Finalement, quelques semaines plus tard, un accord est trouvé. Mais les travaux mettront encore plusieurs mois avant de redémarrer.
La machine ne semble plus pouvoir être arrêtée quand WCS annonce son mariage fin 2022 avec le géant de l’acier Baowu Steel. Après plus d’un an de travail, le contrat est finalisé début 2024. Le mastodonte chinois devient le premier actionnaire du projet par l’intermédiaire de différentes prises de participation dans les blocs 1 et 2, mais aussi 3 et 4. Son implication permet au projet de bénéficier de financements apportés par les banques chinoises.
Reste qu’à quelques mois de l’entrée en production du projet, annoncée pour la fin de 2025, la non-publication des conventions signées par le gouvernement avec Winning Consortium Simandou (WCS), Baowu Steel, l’anglo-australien Rio Tinto et le chinois Chinalco, inquiète les ONG, le Fonds monétaire international, mais aussi une bonne partie du pays. Après plus de trente ans d’attente, les Guinéens aussi veulent leur part de Simandou.
Rfi
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