Sous la présidence de Paul Kagame, l’organisation africaine entend accélérer sa réforme lors du sommet qui se tient en Éthiopie jusqu’au 29 janvier. Mais d’autres dossiers seront mis sur la table. Tour d’horizon des enjeux de ce 30e sommet de l’UA.
À partir d’aujourd’hui, les couloirs de l’Union africaine (UA) vont reprendre leur agitation habituelle. Les ministres des Affaires étrangères ont déjà commencé à affluer dans l’enceinte africaine, à Addis Abeba, pour préparer les décisions des chefs d’État, qui se réuniront les 28 et 29 janvier. Cette année encore, l’Afrique a changé après le départ de certains présidents qu’on disait inamovibles. Voici les cinq temps forts qui devraient marquer ce 30e sommet.
• Trois réformes
On en parle depuis un an et demi (quatre sommets avec celui-ci), mais cette réforme de l’Union africaine (UA) ne sera pas, comme d’autres sujets, un serpent de mer. C’est en tout cas ce qu’entend démontrer Paul Kagame, le président rwandais, qui prendra le relais du président guinéen Alpha Condé à la tête de l’UA à l’issue de ce sommet.
Concocté par un comité mis en place en juillet 2016, composé notamment de l’ancien patron de la Banque africaine de développement (BAD), Donald Kaberuka, de l’économiste camerounais Acha Leke ou encore de Carlos Lopes, l’ancien secrétaire général de la commission économique pour l’Afrique des Nations unies, la réforme comprend trois points principaux :
• La rationalisation du champ d’action de l’UA : paix et sécurité, affaires politiques, intégration économique, les moyens pour l’Afrique de faire entendre sa voix sur la scène internationale.
• Le réajustement des institutions, en améliorant la division des tâches entre l’UA, les organisations et les institutions régionales. Il pourrait comprendre aussi la suppression d’un sommet annuel sur les deux aujourd’hui organisés.
• L’autofinancement de l’UA à travers une taxe de 0,2% sur les importations « éligibles », qui ne sont pas soumises aux règles de l’OMC.
• Passage de relais Condé-Kagame
Ces trois grands axes ne seront certainement pas complètement entérinés durant cette réunion, mais certaines décisions sont attendues plus que d’autres. C’est le cas, par exemple, de la suppression d’un sommet annuel, qui changerait en profondeur le fonctionnement de l’institution, et, bien sûr, du financement de l’UA.
Alors que 2017 devait être l’année de mise en place de cette dernière réforme, seuls 21 États sont aujourd’hui entrés dans le processus, et 14 (comprenant des membres de la Cédéao, de la Cemac, l’Éthiopie, le Kenya et le Rwanda) ont déjà commencé à collecter les fonds.
La date butoir, initialement fixée à janvier 2018, a finalement été repoussée d’un an. Mais le président Kagame, qui a fait parvenir à ses pairs, le 7 janvier, un projet mis à jour, pourrait néanmoins se satisfaire d’avoir d’ores et déjà fait bouger les lignes sur ce point.
Le président rwandais est au cœur de l’Union africaine depuis que lui a été confiée la tâche, en juillet 2016, de mener la réforme de l’institution panafricaine. Mais en juillet 2017, son élection pour prendre la succession de Guinéen Alpha Condé à la tête de l’UA lui a donné la perspective d’une année supplémentaire pour mener à bien son projet.
Au terme de ce 30e sommet, le passage de relais sera donc une formalité. Mais il est attendu par de nombreux Africains qui voient en Paul Kagame celui qui a réussi à propulser son pays au rang des bons élèves en moins de 25 ans.
• Une lutte qui démange
Le thème retenu par l’Union africaine pour 2018 a dû en froisser plus d’un : « Gagner la lutte contre la corruption : un chemin durable vers la transformation de l’Afrique ». Un mot d’ordre qui succédera à une année consacrée à la jeunesse et au défi démographique, et plus globalement à des thèmes pour lesquels personne ou presque ne s’était passionné.
Dans l’hémicycle, le Sud-Africain Jacob Zuma, dont les affaires à répétition ternissent la fin de mandat, mais aussi l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, dont le fils Teodorin a été condamné en octobre à Paris dans l’affaire des biens mal acquis, ont dû se demander si ce choix était dirigé contre eux…
Il est d’autant plus percutant qu’il sera porté par Paul Kagame, chantre de la lutte anti-corruption chez lui.
Côté angolais, l’affaire est plus subtile. João Lourenço, élu en août, en a fait lui aussi son cheval de bataille, en s’attaquant aux intérêts de la famille de son prédécesseur, José Eduardo dos Santos.
Mais dans le même temps, l’ancien vice-président Manuel Vicente, proche (ou devenu proche) de Lourenço, est actuellement jugé au Portugal dans une affaire de corruption. Or l’Angola refuse jusqu’à présent d’extrader celui qui fut aussi le grand patron de la société nationale pétrolière, Sonangol.
• Maroc-Algérie : la bataille n’aura pas lieu
Ce sommet de l’UA verra le renouvellement des deux tiers du Conseil Paix et sécurité (CPS), l’organe le plus prestigieux de l’organisation. Dix sièges sur quinze sont à pourvoir : trois pour l’Afrique de l’Ouest, deux pour l’Afrique de l’Est, deux pour l’Afrique centrale, deux pour l’Afrique australe et, enfin, un siège pour l’Afrique du Nord.
Occupé jusque-là par l’Algérie, c’est ce dernier qui fait l’actualité. Depuis que les Marocains ont fait courir le bruit de leur intention de briguer le poste, plusieurs participants au sommet s’attendaient à une bataille acharnée entre les deux frères ennemis du Maghreb. Mais ce ne sera pas le cas. Le Maroc est en effet seul en lice depuis le retrait surprise de la candidature algérienne.
Le 22 janvier, le ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, a annoncé que son pays ne se représenterait pas pour ce mandat de deux ans mais qu’il briguerait celui (de trois ans) assumé par l’Égypte jusqu’en 2019, et ce « dans le cadre de l’application du principe de rotation entre les pays membres de l’organisation ».
Dans les cercles de l’UA, le retrait de l’Algérie est interprété comme « un choix tactique » face à « une victoire annoncée » des Marocains. Mais l’Algérie n’est pas vraiment perdante puisqu’elle conserve le prestigieux poste de commissaire pour la paix et la sécurité, sa chasse gardée depuis sa création en 2001.
Le mandat de son détenteur, Smaïl Chergui – qui a succédé à son compatriote Ramtane Lamamra – ne prendra fin qu’en 2021.
Sauf imprévu, les élections pour le renouvellement des deux tiers du CPS, prévues ce vendredi 26 janvier, permettraient donc aux Marocains de mettre un pied dans cet organe qui gère toutes les questions sécuritaires du continent, les crises régionales et les relations de l’UA avec les institutions internationales.
• Du sang frais
Actualité oblige, ils seront les stars de ce sommet. Le 30e sommet de l’UA marquera en effet le baptême du feu des nouveaux présidents du Liberia, du Zimbabwe et de l’Angola au sein de l’enceinte africaine.
Si la participation du Libérien Georges Weah est confirmée par son entourage, on attend aussi l’arrivée du Zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa et de l’Angolais, João Lourenço, qui avait déjà assisté au sommet de l’UA en juillet dernier, en tant que ministre de la Défense et futur successeur de dos Santos. Ce dernier n’avait plus assisté à un tel sommet depuis 2010. « Leur présence aura valeur de symbole dans une UA en renouvellement », explique un expert de l’organisation continentale. Elle permettra de dévoiler leurs intentions en terme de politique étrangère et leur engagement dans la réforme de l’organisation panafricaine.
Jeune Afrique