Le 28 septembre 2009, au moins 157 personnes qui s’opposaient à la candidature de Moussa Dadis Camara à la présidentielle, étaient massacrées dans le stade de Conakry. Neuf ans après, les familles des victimes attendent toujours un procès.
Le 28 septembre 2009, des milliers de militants de l’opposition sont mobilisés au stade de Conakry pour réclamer une élection présidentielle sans Moussa Dadis Camara. Contrairement à ce qu’il avait promis en prenant le pouvoir en décembre 2008, le chef de la junte envisage désormais de se présenter. En quelques mois, l’espoir suscité par le coup d’Etat du capitaine Dadis s’est émoussé et le rassemblement de l’opposition, pourtant interdit par les autorités, est un succès. Mais le rassemblement va se terminer dans un bain de sang.
Grande mobilisation de l’opposition
Dès le début de la matinée, les manifestants sont dans la rue. La tension est déjà très vive, on compte deux morts dans des quartiers favorables à l’opposition. La foule poursuit sa marche vers le stade du 28-Septembre. Lorsque les leaders de l’opposition arrivent, l’ambiance est à la fête. Sur la pelouse, dans les gradins, dans les allées, on entend crier « Changement, changement ! »
Rapidement, les chants sont interrompus par des tirs. Stupéfaits, les manifestants voient surgir des militaires qui ouvrent le feu à bout portant, frappent, rackettent et violent. Le stade est encerclé. De chaque côté, des militaires sont présents et tiennent en joue ceux qui essaient de fuir. Saran, une manifestante, raconte :
« Il y a une porte au fond, vers l’université. On voulait sortir par là, mais quand on est arrivé, les policiers habillés en noir et cagoulés ont tiré les fils du courant. Ils ont vu que les personnes qui arrivaient en face étaient plus nombreuses qu’eux alors ils ont fait tomber les fils. Les premiers manifestants qui ont essayé de passer ne se sont pas relevés. Ils ont été tués par le courant électrique. »
Les militaires ainsi que des hommes en civil et certains policiers et gendarmes tuent, rackettent, violent. Aissatou, âgée de 25 ans au moment des faits, était venue au stade avec l’une de ses amies qu’elle a perdue dans sa fuite. « Je me suis cachée au niveau des toilettes, dans les gradins. Quelques instants après, quatre militaires sont venus. L’un d’entre eux m’a tirée sur une sorte de banc. Ils ont d’abord déchiré mon pantalon. Le premier m’a violée, le second m’a violée. Le troisième a essayé, mais là j’ai résisté un peu alors ils m’ont cogné sur la tête et j’ai perdu connaissance. »
Les militaires tout-puissants
La terreur règne non seulement au stade, mais dans toute la ville. Pendant plusieurs jours, les militaires agissent en maîtres absolus. Les quartiers réputés favorables à l’opposition sont perquisitionnés. De nouveau des vols sont commis, certaines maisons mises à sac. Les arrestations se poursuivent également.
Dans les camps militaires, les détenus subissent des tortures quotidiennes. Des femmes ont été enlevées et violées pendant plusieurs jours.
Mamadou, lui, s’est rendu au camp Koundara pour chercher son neveu. A peine arrivé, il est lui aussi jeté dans une cellule et torturé.
« Ils nous ont fait entrer au camp et dès que nous avons été à l’intérieur, ils nous ont attrapés, déshabillés totalement et ils nous ont blessés. Ils ont versé de l’eau chaude sur nous, roulé sur nos jambes avec des motos. Ils nous insultaient, ils versaient de l’eau chaude sur notre corps. Toute la peau du haut de mon dos est partie. »
Au stade comme dans les morgues dont ils prennent le contrôle dans les heures suivant le massacre, les militaires tentent de dissimuler les corps. L’un d’entre eux, de l’unité des bérets rouges, témoignait sur RFI quelques semaines après le massacre, racontant comment en pleine nuit, il avait enterré des corps. Un jeune manifestant peut en témoigner : laissé pour mort, il s’est réveillé dans un camion militaire parmi des cadavres qui ont été déposés dans une fosse commune.
Les leaders de l’opposition, eux aussi, ont été battus au stade, mais ils ont été exfiltrés par deux hauts responsables de la junte : Aboubacar Sidiki Diakité, alias Toumba, l’aide de camp du président à l’époque et aujourd’hui en détention préventive à Conakry, et le colonel Tiegboro, qui dirige la brigade de lutte contre le grand banditisme et contre la drogue, toujours en fonction aujourd’hui. Selon Mamadi Kaba, ancien directeur de l’Institution nationale indépendante des droits humains, « il faut voir leur choix de sortir les leaders comme des initiatives personnelles qui permettaient d’éviter le pire, dans l’intérêt du grand chef. Pour peut-être lui dire ensuite que leur geste avait permis de sauver son régime. »
Une répression planifiée ?
Le président, lui, ne sort pas du quartier général de la junte, le camp Alpha Yaya. Lors de son audition par les juges d’instruction guinéens en février 2013, Moussa Dadis Camara a expliqué s’être couché tard la veille et avoir été informé vers 10h que la manifestation était en cours. Il affirme n’avoir jamais donné la moindre instruction. Moussa Dadis Camara assure avoir été victime d’un complot visant à le discréditer et le destituer, il accuse son ancien aide de camp, Aboubacar Toumba Diakité. Selon lui, Toumba avait trop d’assurance, « il prenait souvent des initiatives sans m’en aviser ». Le président est pourtant apparu en public aux côtés de Toumba quelques jours plus tard, le 2 octobre, pour la fête de l’indépendance.
La junte est divisée, les conflits d’autorité et les ambitions personnelles de certains membres du CNDD (la junte au pouvoir, NDLR) ont créé un climat de méfiance entre les militaires. Mais dans son rapport rendu en décembre 2009, la commission d’enquête des Nations unies souligne : « Le président s’est plaint de son armée indisciplinée. Toutefois, il a également démontré un haut degré de contrôle sur les militaires puisque l’armée régulière a obéi à ses ordres, transmis par l’intermédiaire du chef de l’état-major des armées, de rester dans les casernes toute la journée malgré la gravité des événements qui se déroulaient en ville. »
La commission d’enquête des Nations unies conclut qu’il y a « des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une coordination entre tous les groupes armés impliqués dans l’attaque du stade, y compris les miliciens ».
Pour Bah Oury, premier vice-président du parti d’opposition UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée ), il n’y a pas de doute : « Lorsque ça se fait à cette échelle, cela veut dire que les gens avaient reçu des ordres pour violenter, pour humilier, pour atteindre au plus profond des gens. »
Désir de justice
Neuf ans plus tard, aucune sanction n’a été prise et de nombreuses zones d’ombre persistent. Aucune enquête aboutie n’a été menée concernant les disparus et les allégations de fosses communes. Plusieurs sites ont été identifiés par des témoins, dont certains se trouvent sur des terrains militaires, mais aucune investigation n’a été menée sur les lieux.
L’instruction est enfin terminée, depuis la fin de l’année 2017, mais la procédure judiciaire s’éternise. Le chemin vers la tenue d’un procès est encore long. Le comité de pilotage chargé d’organiser l’événement ne s’est réuni que deux fois depuis sa création au mois de juin dernier. Aucune date n’est annoncée, aucun lieu n’a été choisi pour accueillir ce procès inédit qui devrait durer plusieurs mois.
La lenteur de la procédure commence à décourager certaines victimes. De nombreuses personnes blessées ou ayant perdu un proche au stade n’y croient plus. Elles déplorent que sur les 13 inculpés, trois seulement soient en prison (notamment Aboubacar Toumba Diakité). Les autres sont en liberté, l’ancien président Moussa Dadis Camara vit en exil à Ouagadougou au Burkina Faso, et le colonel Tiegboro dirige toujours l’unité spéciale de lutte contre la drogue et le grand banditisme… Les victimes ont le sentiment que l’impunité persiste.
rfi