En Guinée, la trêve est de plus en plus fragile entre, d’un côté, les militaires au pouvoir du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) et de l’autre côté, l’opposition et la société civile. Certes, il y a deux mois, le régime militaire du colonel Doumbouya a fait libérer Foniké Menguè et deux autres leaders des « forces vives », tandis que la société civile a suspendu ses manifestations. Mais aujourd’hui, cette trêve risque de voler en éclats à tout moment. Foniké Menguè, qui vient donc de passer dix mois en prison à Conakry, est de passage en France. Le coordonnateur national du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) répond aux questions de RFI.
RFI : Foniké Menguè, le colonel Doumbouya annonce que la transition militaire s’achèvera à la fin de l’année prochaine et que lui-même quittera le pouvoir, est-ce que ça vous rassure ?
Foniké Menguè : Ça ne me rassure pas trop, parce qu’en réalité, les militaires ne veulent pas quitter le pouvoir. Cela s’explique par le fait que tous ceux qui sont opposés à cette conduite unilatérale de la transition soient, certains en prison, d’autres en exil. Personne ne peut aujourd’hui donner son point de vue, un point de vue qui est contraire à la volonté du CNRD. En le faisant, la personne peut se retrouver facilement en prison.
Le CNRD, c’est donc la junte au pouvoir, en réalité ?
Oui, c’est la junte au pouvoir.
Mais tout de même, est-ce que la promesse du colonel Doumbouya de ne pas être candidat à la future présidentielle, et donc de ne pas s’accrocher au pouvoir, est-ce que ce n’est pas un engagement qui peut vous satisfaire ?
Vous savez, ce sont des gens qui ne respectent pas leurs engagements. Aujourd’hui, ils ne sont pas capables de respecter leur propre charte. Par exemple, quand on fait allusion à l’article 8 de la Charte qui autorise les manifestations, mais aujourd’hui, en Guinée, les manifestations sont interdites. C’est pourquoi nous disons : le fait que le colonel Mamadi Doumbouya dise qu’il va partir au-delà de deux ans, ça ne nous rassure pas du tout.
Depuis l’année dernière, votre mouvement FNDC, Front national pour la défense de la Constitution, est dissous. Alors sous quel drapeau allez-vous continuer ce que vous appelez votre combat citoyen ?
Le FNDC est un état d’esprit. On ne peut pas dissoudre un état d’esprit. Et ce FNDC est plus âgé que le CNRD. C’est pourquoi nous disons que nous continuons, en tant que sentinelle de la démocratie, notre combat.
Vous parliez tout à l’heure des opposants qui sont en exil, c’est le cas du numéro un de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, qui vit à Dakar. Est-ce que vous pensez que sa carrière politique est derrière lui ? Ou est-ce que vous pensez, au contraire, qu’il a encore un grand rôle à jouer dans la Guinée des prochaines années ?
On n’est pas affiliés à un parti politique, on n’accompagne pas un parti politique. Mais tous les acteurs majeurs de cette transition ont un rôle important à jouer, puisque nous nous sommes bâtis ensemble, tous les acteurs, que ce soient Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, que ce soient d’autres contre le troisième mandat de monsieur Alpha Condé.
Donc vous vous sentez plus proche, politiquement, de tous les partis qui ont combattu le troisième mandat d’Alpha Condé, que des autres partis ?
Tous les acteurs qui ont lutté contre la confiscation du pouvoir par monsieur Alpha Condé, notamment le troisième mandat, et qui se trouvent encore dans ce combat contre la confiscation du pouvoir par le CNRD, Foniké Menguè est proche de tous ces acteurs.
Avant la fin de la transition, le colonel Doumbouya a décidé de confier au Conseil national de transition, le CNT, la tâche de rédiger une nouvelle Constitution à soumettre à référendum, et le président de ce Conseil national de transition, Dansa Kourouma, vous invite à dialoguer avec lui. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Le dialogue que le CNRD appelle dialogue, c’est une situation où tous ceux qui sont dedans sont d’accord avec tout ce que dit le CNRD. En ce moment, il n’y a pas de dialogue puisqu’ils sont tous d’accord. Le jour où le CNRD sera vraiment d’accord, afin qu’on s’asseye autour d’une table pour dialoguer autour de la transition, en présence de la Cédéao et du G5, ce jour, nous trouverons la véritable solution et vous verrez que tout rentrera dans l’ordre.
Oui, mais Dansa Kourouma, le président du Conseil national de transition, n’en veut pas de cette médiation de la Cédéao et de l’ancien président béninois Boni Yayi dans les débats sur la future Constitution, il dit que c’est une affaire entre Guinéens…
Oui, c’est une affaire entre Guinéens, mais la Guinée fait partie de la Cédéao. Aujourd’hui, aucun pays ne peut vivre en vase clos. Nous sommes en transition, une transition a besoin de dialogue, a besoin de consensus. C’est ce que nous demandons au CNRD. C’est ce que nous demandons au colonel Mamadi Doumbouya. Mais ils n’ont pas intérêt, encore une fois, à ce qu’il y ait de véritable cadre de dialogue, puisqu’ils ont la volonté de confisquer le pouvoir en Guinée.
Est-ce qu’il n’y a pas, tout de même, un espoir que cette transition prenne fin et que la démocratie revienne ?
C’est vrai qu’il y a de l’espoir, mais l’espoir est trop minime quand on voit la volonté du CNRD pour confisquer le pouvoir, ce sont des gens qui ne veulent pas le quitter. Aujourd’hui, les forces vives de la nation, ça fait un moment qu’on a décidé d’observer une trêve, pour donner une chance à la médiation des chefs religieux, sur leur demande, pour voir avec le colonel Doumbouya comment faire en sorte que les points de revendication, notamment la mise en place de ce véritable cadre de dialogue et la levée de l’interdiction des manifestations, soient réglés. Mais jusqu’ici, rien n’est fait. Donc ce qui est sûr, nous allons reprendre nos réunions, et suite aux réunions, vous savez que nous allons encore partir en manifestations. Nous ne laisserons pas faire par le CNRD ce que nous n’avons pas laissé faire par monsieur Alpha Condé. Si nous avons lutté contre la confiscation du pouvoir par monsieur Alpha Condé, nous allons continuer la lutte contre la confiscation du pouvoir par le CNRD.
RFI