La Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest (Cédéao) se réunit jeudi en urgence avec plusieurs dossiers sensibles à traiter : la crise politique au Sénégal et les différends importants avec les régimes militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger.
Réunion sous tension à la Cédéao. La Communauté ouest-africaine se réunit en urgence, jeudi 8 février, sur fond de crise politique au Sénégal et de différends importants avec les juntes au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger.
Le Conseil de médiation et de sécurité de l’organisation ouest-africaine a annoncé que les ministres des Affaires étrangères se retrouveraient à Abuja, la capitale du Nigeria, pour « discuter des problèmes sécuritaires et politiques actuels de la région ». La présence du ministre sénégalais n’est pas confirmée pour le moment.
Après le report de la présidentielle sénégalaise, la Cédéao a exhorté Dakar à respecter son calendrier électoral initial. Mais elle essuie de plus en plus de critiques qui remettent en cause son influence sur ses États membres.
La réputation de l’organisation régionale vieille de près de 50 ans est en jeu, en particulier après le coup d’État au Niger en juillet 2023. La menace d’intervention militaire de la Cédéao dans ce pays semble ne plus être à l’ordre du jour, alors que le président déchu Mohamed Bazoum n’a toujours pas été rétabli dans ses fonctions et reste détenu.
Le report de l’élection présidentielle sénégalaise est une « nouvelle crise dont la Cédéao n’a pas besoin », indique à l’AFP Djidenou Steve Kpoton, consultant politique béninois indépendant. « Son impuissance face à la situation est évidente ».
« Pourquoi n’excluent-ils pas le Sénégal ? »
Le Sénégal, démocratie parmi les plus stables dans la région, connaît sa crise politique la plus aigüe depuis des décennies. Déclenchée par le report de la présidentielle du 25 février par le président Macky Sall samedi, elle suscite des inquiétudes quant aux répercussions dans la région.
Les législateurs ont voté lundi à la quasi-unanimité en faveur de ce report au 15 décembre, après l’expulsion de membres de l’opposition par les forces de sécurité – qui n’ont pas pu voter.
Dans un communiqué, la Cédéao a invité le Sénégal a « prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour rétablir le calendrier électoral ».
Pour Rama Salla Dieng, maîtresse de conférences en études africaines à l’université d’Edimbourg, en Écosse, la Cédéao publie des communiqués de presse, « mais lorsque le moment est venu d’agir et de faire respecter les principes pour lesquels elle a été créée, elle ne fait rien ». « Pourquoi n’excluent-ils pas le Sénégal ? » se demande l’universitaire sénégalaise.
« Un coup d’État est un coup d’État, il y avait des élections planifiées avec une date fixée. On a l’impression qu’ils sont vraiment impuissants », ajoute Rama Salla Dieng.
L’option de la médiation
L’un des pouvoirs dont dispose la Cédéao est d’imposer des sanctions économiques, comme elle l’a fait à l’encontre du Mali et du Niger à la suite des récents coups d’État.
Fin janvier, les deux pays ainsi que le Burkina Faso – déjà suspendus de la Cédéao – ont annoncé leur retrait conjoint de l’organisation ouest-africaine, aggravant ainsi le casse-tête diplomatique.
Et mercredi, les trois pays sahéliens ont fait savoir qu’ils entendaient partir dès maintenant et non dans un an comme le stipulent les textes de l’organisation.
Les experts estiment que le Sénégal est encore loin du stade où la Cédéao est susceptible de lui imposer des sanctions financières.
« Ce qui peut être mis en place, c’est davantage de médiation », déclare à l’AFP Idayat Hassan, affiliée au Centre américain d’études stratégiques et internationales. « La Cédéao est en difficulté, mais ce n’est pas nouveau. L’Afrique de l’Ouest était l’une des régions du monde les plus sujettes aux coups d’État avant que la consolidation démocratique ne commence à s’installer ».
Pour Idayat Hassan, l’organisation régionale s’était montrée « capable de s’adapter, résiliente et capable de faire face à la plupart de ces défis » dans le passé.
« Pas sage pour quiconque d’avancer une action militaire »
La Cédéao est déjà intervenue militairement, notamment en Gambie en 2017 lorsque le président sortant Yahya Jammeh a refusé de quitter le pouvoir après avoir perdu les élections.
Il ne serait « pas sage pour quiconque d’avancer une action militaire » dans la région, estime Bamidele Olajide, professeur de sciences politiques à l’université de Lagos.
« On ne peut pas continuer comme si de rien n’était », juge Rama Salla Dieng, qui a appelé à une consultation publique sur le rôle de l’organisation.
« Nous devons être très pragmatiques », ajoute-t-elle. « Si les gens pensent que la Cédéao n’a plus besoin d’exister, alors avons-nous encore besoin de la Cédéao ? »
France24