Alors que les voix des mormons sont traditionnellement acquises au parti républicain, une partie d’entre eux se tournent vers la candidate démocrate, dégoûtés par les outrances de Donald Trump. Reportage à Mesa, dans une famille pro-Kamala.
Claudia et Steve Walters ont ajouté un quatorzième précepte à ceux énoncés par l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers-Jours : ne jamais parler politique le dimanche. Ils consacrent cette journée à la prière et leur famille. Ce soir-là de novembre, ils reçoivent justement à dîner l’une de leurs filles, avec son mari et leur progéniture. Leurs quatre autres enfants se trouvent sur l’étagère du salon, un par rayon, encadrés en format 20×25 cm. Il n’y avait pas la place pour les dix-huit petits-enfants.
Devant son pavillon, le couple a fiché un panneau tout aussi piquant que les cactus qui l’entourent. « Republican for Harris-Walz 2024 », proclame-t-il en lettres blanches sur fond marine. Il a longuement réfléchi avant de passer à l’acte, conscient que cela allait en contrarier certains. Ça n’a pas fait un pli : le voisin d’à-côté a planté dans la foulée une pancarte annonçant son soutien à Donald Trump. Ils n’en ont cependant jamais parlé et continuent à se saluer chaque matin.
« Notre foi nous enseigne à aimer tout le monde »
« Le républicain, c’est mon mari », précise Claudia Walters. Ancienne adjointe au maire de Mesa en charge de l’éducation, la septuagénaire a pris cette année la tête du mouvement LDS for Harris-Walz en Arizona. Alors, juste pour cette fois, elle accepte de faire une entorse à sa sacro-sainte règle pour expliquer les raisons de son engagement au sein de la campagne démocrate. « Notre foi nous enseigne à aimer tout le monde, et en particulier ceux qui sont dans le besoin. Nous ne les traitons pas de violeurs, nous ne les traitons pas d’ordures, nous les prenons dans nos bras. J’ai écouté Kamala Harris, j’ai vu ce qu’elle faisait, j’ai vu sa tolérance et c’est ce qui m’a convaincue », explique-t-elle, confortablement installée dans son canapé écossais. Assise en face d’elle, sa fille Wendy acquiesce : « Elle exsude ce que je considère comme étant un comportement chrétien et je voterai pour elle avec joie. »
Steve Walters soutient quant à lui la candidate démocrate pour une autre raison. Fervent partisan de la Constitution dans laquelle il voit une inspiration divine, il raconte avoir été traumatisé par l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021. « Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, un président a bafoué l’État de droit en tentant de se maintenir au pouvoir. Je vote Kamala Harris parce que je crois que, contrairement à Donald Trump, elle défend l’État de droit », affirme-t-il posément.
À Mesa, les convictions de la famille Walters sont toutefois loin d’être partagées. En 2020, la troisième ville d’Arizona avait voté à près de 57 % pour Donald Trump. Aucune surprise : elle est considérée comme l’une des plus conservatrices du pays. Il y a dix ans, le site Politico l’avait même placée tout en haut du classement. La ville est notamment habitée par une importante communauté mormone, traditionnellement acquise au Grand Old Party. Une étude du Pew Research Center en 2016 indiquait que l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers-Jours, tout en revendiquant sa « neutralité institutionnelle », était le groupe religieux le plus favorable au parti à l’éléphant – sept mormons américains sur dix se disaient alors républicains.
De précieuses voix
« Je pense qu’il existe chez les mormons la crainte qu’en cas de victoire, les démocrates sapent leurs libertés religieuses, comme celle de refuser aux personnes LGBTQ+ certains droits au sein de l’Église », décrypte Brittany Romanello, chercheuse en anthropologie à l’Université d’Arizona et elle-même issue de cette communauté. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils se reconnaissent tous en Donald Trump, nuance-t-elle. « On observe par ailleurs un nombre croissant de jeunes mormons qui votent pour la première fois et qui sont plus diversifiés que jamais. Environ un mormon de la génération Z sur quatre s’identifie comme LGBTQ+. Et il y a plus de mormons racisés que jamais auparavant. »
Cette année, plusieurs membres éminents de l’Église des Saints des Derniers-Jours ont ainsi pris publiquement position contre le milliardaire. Parmi eux, l’ancien sénateur républicain d’Arizona Jeff Flake, qui a exprimé son soutien à Kamala Harris. Ou l’ancien président du Congrès d’Arizona, Russell « Rusty » Bowers, qui avait refusé de repousser la proclamation de la victoire de Joe Biden dans cet État en 2020, comme le réclamait Donald Trump. Ou encore John Giles, maire républicain de Mesa, qui a également apporté son soutien à la candidate démocrate.
Or, si les mormons représentent moins de 7 % de l’électorat en Arizona, leur choix sera déterminant dans un scrutin dans lequel chaque bulletin va peser. À l’approche du jour J, les équipes de Kamala Harris et Donald Trump ont donc redoublé d’efforts pour tenter de conquérir ou sécuriser ces précieuses voix. Comme l’avait fait juste avant lui la vice-présidente sortante, l’ancien locataire de la Maison Blanche a lancé le mois dernier la coalition des Saints des Derniers-Jours pour Trump, avec le député Andy Biggs comme tête d’affiche dans le « Grand Canyon State ».
« C’est le parti qui m’a quittée »
Claudia Walters elle-même n’a pas toujours roulé pour le parti démocrate. Cette native de l’État de New York a même longtemps été une républicaine convaincue. « Républicaine du genre Eisenhower », précise-t-elle, en référence à l’ancien président dont elle loue la politique d’aménagement du réseau autoroutier, facteur à ses yeux de prospérité. Tout a basculé en 2010, lorsque le Sénat d’Arizona à majorité républicaine a adopté la loi 1070, obligeant tout immigré à être en possession de ses papiers. « Ce n’est pas comme cela que notre pays est censé se comporter, blâme-t-elle. Nous sommes un pays d’immigrés. À moins d’être amérindien, on est immigré. Je ne voulais pas adhérer à ça, alors je suis devenue indépendante. Ce n’est pas moi qui ai quitté le parti, c’est le parti qui m’a quittée. »
Le coup de grâce est survenu six ans plus tard, avec la désignation de Donald Trump comme candidat à la Maison Blanche. Alors qu’elle pensait revenir un jour vers son ancien parti, une fois les choses rentrées dans l’ordre, elle a totalement rompu avec lui. « Pour moi, Donald Trump était le contraire de quelqu’un qui cherche à réconcilier les gens. Je le considérais comme un pyromane. Et je ne voyais pas comment ça pouvait être bénéfique pour notre pays ». Et c’est ainsi, raconte-t-elle, qu’elle s’est retrouvée en 2020 à faire campagne pour Joe Biden.
Cela lui a d’ailleurs valu quelques inimitiés. « J’ai perdu quelques amis en 2020. Ce n’étaient pas vraiment des amis, plutôt des connaissances, mais oui, j’en ai perdu quelques-uns, regrette-t-elle. Mais j’ai aussi une très vieille amie qui m’a demandé comment je pouvais soutenir Biden plutôt que Trump. Alors je lui ai expliqué et nous n’en avons plus jamais reparlé. Et nous sommes restées amies. » En cette fin de campagne où les esprits sont chauffés à blanc, la famille Walters préfère ainsi, pour éviter toute fâcherie, se tenir à distance des discussions politiques. Et pas seulement le dimanche.
Rfi
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